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La théorie de l’imprévision : précisions sur la notion d’onérosité excessive

13 mai 2020   |   3 min de lecture

La délicate interprétation de la notion d’onérosité excessive.

Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, les effets du bouleversement économique peuvent être de nature à rendre « excessivement onéreuse » l’exécution de vos obligations contractuelles.

Pour y faire face, et en l’absence de clauses contractuelles, la loi prévoit plusieurs moyens de renégociation des contrats, dont la théorie de l’imprévision. Ce mécanisme est prévu à l’article 1195 du Code civil (Issu de la réforme du droit des obligations, et ne s’appliquant qu’aux contrats conclus à partir du 1er octobre 2016) (voir notre dernier article sur le sujet ici), qui dispose : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe« . À la lecture de cet article, trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
  • la partie affectée par ce changement ne doit pas avoir accepté d’en assumer le risque ;
  • ce changement de circonstances rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse.

Il y a lieu de s’interroger sur ce que recouvre la notion « d’onérosité excessive« . En d’autres termes, l’onérosité excessive correspond-elle uniquement à un renchérissement du coût de la prestation, sans répercussion sur la clientèle, ou vise-t-elle aussi la baisse significative de la valeur de la contre-prestation pour une partie ? À priori, à la lecture de l’article, la première option est visée, à savoir celle d’un renchérissement du coût de la prestation qui ne pourra pas être répercutée. Cependant, le changement imprévisible de circonstances peut également entraîner une baisse considérable de la rentabilité du contrat pour l’une des parties, et le contrat peut ainsi perdre une partie de son intérêt pour le créancier lorsque la valeur de la contre-prestation baisse par rapport au prix convenu initialement et ce, alors même que le coût de l’exécution n’augmente pas. Il convient alors de s’interroger davantage à l’économie du contrat plutôt que dans les capacités contributives du débiteur. Une analyse parallèle de l’article 1221 du Code civil relatif à l’exécution forcée en nature pourrait être effectuée, en ce qu’il dispose : « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier.« 

Seule la jurisprudence postérieure permettra d’apprécier la façon dont les juges entendent interpréter cette notion délicate.

Et c’est bien l’interprétation de ce caractère onéreux qui fait débat et dont l’interprétation diverge le plus au sein de la doctrine. Certains auteurs estiment qu’il ne peut s’agir que du coût de la prestation qui deviendrait excessivement onéreux ; quand d’autres souhaitent inclure dans cette notion « la diminution de la contrepartie, un rapport coût/ avantage devenu négatif » (P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, LGDJ, 2018) ou « la dévalorisation du prix que peut recevoir le créancier » ; B. Fages, Droit des Obligations, LGDJ, 08/2019). À ce titre, l’avant-projet Catala de réforme du droit des obligations retenait cette option. L’article 1135-1 du projet notait ainsi la possibilité pour les co-contractants « dans les contrats à exécution successive ou échelonnée, de s’engager à négocier une modification de leur convention pour le cas où il adviendrait que, par l’effet des circonstances, l’équilibre initial des prestations réciproques fût perturbé au point que le contrat perde tout intérêt pour l’une d’entre elles« . L’article 1135-2 du même projet prévoyait qu’ »à défaut d’une telle clause, la partie qui perd son intérêt dans le contrat peut demander au président du tribunal de grande instance d’ordonner une nouvelle négociation« . La partie qui perdait tout intérêt à l’exécution du contrat pouvait donc solliciter du juge d’ordonner la renégociation et, en cas d’échec, obtenir une résiliation judiciaire. Mais cette hypothèse n’a pas été reprise dans le nouvel article 1195 du Code civil, le législateur ayant opté pour une conception stricte de l’onérosité excessive. Sont concernés par cette notion toutes les conventions, à l’exception de ceux prévus l’article L.211-40-1 du Code monétaire et financier, aux obligations qui résultent d’opérations sur titres et contrats financiers (titres de capital émis par les sociétés par actions ; titres de créance ; parts ou actions d’organismes de placement collectif et contrats financiers). Restent toutes les autres conventions exclus l’application de l’article 1195.

La notion d’onérosité excessive risque d’être largement invoquée dans les prochains mois compte tenu de la crise du Covid-19, il conviendra de s’intéresser à l’interprétation qui sera faite par la jurisprudence abondante qui en résultera. Plus d’informations sur le mécanisme d’imprévision ici.